Alban Bourdy, 36 ans, a été membre de la secte Ashram Shambala pendant trois ans. Entre 2010 et 2013, sa vie a été rythmée par des chamans aux pratiques douteuses. Il témoigne pour faire comprendre que les sectes existent, qu’elles sont dangereuses, et sévissent toujours.
Premiers contacts
« J’ai été approché par la secte en juin 2010. À l’époque, j’avais peu d’amis sur Facebook et uniquement de la famille. Un jour, une femme m’a contacté car elle organisait la venue d’une chamane sibérienne. Je ne sais pas comment cette personne m’a trouvé ni pourquoi elle m’a choisi moi. Elle m’a demandé de trouver un endroit pour faire des activités, du monde pour y assister et un appartement pour y dormir. Avant d’accepter, je me suis renseigné sur cette chamane du nom de Soledad. J’ai découvert qu’elle était sud-américaine, née au Chili. Pas du tout Sibérienne donc. J’ai vu des photos d’elle et elle m’a bien plu.
J’aimais bien essayer toute sorte de choses et c’était inédit !
À ce moment-là, il y avait une mode sur le chamanisme et des gens de mon entourage s’intéressaient à ces pratiques. J’aimais bien essayer toutes sortes de choses et c’était inédit ! Je me suis dit que ça allait plaire aux gens. J’ai donc tout organisé pour leur venue. La première impression que j’ai eue en voyant la chamane était très bizarre. Je n’ai pas vraiment les mots pour décrire la sensation, presque surnaturelle. Ça m’a fait l’effet d’un coup de foudre. Elle était habillée d’une manière excentrique avec des froufrous de couleur, sa façon d’être était spéciale. À la fin de son séjour, elle m’a dit qu’elle sentait un potentiel fort en moi et qu’on devrait travailler ensemble. C’était en juillet 2010. À partir de ce moment-là, j’ai organisé la venue de différents chamans.
Mes missions consistaient à trouver des lieux pour les événements et faire la communication. Je présentais les stages qu’ils allaient animer. J’inventais complètement les plannings et les activités. Rien n’était prévu à l’avance. Mais l’engouement était présent, beaucoup de monde venait. Il fallait même rajouter des dates.
L’envers du décor
Les chamans s’adaptaient à la demande. Ils devenaient astrologues, voyants, psychologues, thérapeutes de couple, et même commerciaux ou économistes ! De vrais caméléons. En fait, leurs supérieurs leur apprenaient à penser qu’ils pouvaient tout faire. J’ai assisté à certaines séances pour faire la traduction. Soledad disait des évidences et attendait que ça passe. La personne, qui avait les yeux fermés, croyait que la chamane lui faisait passer de l’énergie alors qu’elle ne faisait rien.
Les prix allaient de 80 € et à 200 €. Moi, je conseillais aux gens de ne pas y retourner, de ne pas prendre le soin le plus cher. En Belgique, les tarifs atteignaient 10 000 € ! Les dynamiques de groupe incitent ceux qui ont peu d’argent à le dépenser car c’est soi-disant miraculeux. Les chamanes disaient : « Ça fait partie du soin de se délester de son argent. »
Parfois, nous devions nous toucher, l’énergie sexuelle était très présente.
J’ai aussi participé à beaucoup de stages, et pas seulement en France. Ce n’était pas facile. Nous devions nous lever tôt et ne mangions presque pas. Nous pratiquions des activités physiques intenses. À côté de ça, les chamans nous rabâchaient toute la journée des concepts vagues et peu intéressants. Il y avait aussi de la musique techno très forte. C’était du lavage de cerveau.
Parfois, nous devions nous toucher, l’énergie sexuelle était très présente. J’étais toujours avec des groupes européens ou nord-américains, donc c’était soft. Mais pour les autres, ça devenait plus orgiaque. La mentalité véhiculée par les chamans était très archaïque. Les hommes devaient ramener de l’argent et les femmes devaient juste être belles. La majorité des membres de la secte étant des femmes, il y avait des stages organisés pour trouver un mari riche.
Partir ou rester ?
Il y a eu plusieurs phases. Au début, j’avais une grosse volonté d’y croire. En plus de l’admiration que j’avais pour Soledad, je faisais beaucoup de rencontres ! À cause de l’effet de groupe, les gens étaient super contents et je remettais en question ce que je voyais sur internet. Ça ne pouvait pas être vrai. Et si Soledad y croyait, c’est qu’il devait y avoir quelque chose ! Avec du recul ce n’est pas très étonnant que je me sois obstiné à y croire. J’ai été diagnostiqué surdoué à l’âge de 6 ans. Des recherches ont montré que les personnes surdouées sont plus vulnérables aux manipulations. Leurs émotions sont amplifiées, elles recherchent un absolu et idéalisent leur partenaire.
Je n’arrivais plus à prendre de recul et les seuls amis à qui je parlais étaient à fond dedans.
Au fur et à mesure, je dormais de moins en moins et j’étais tout le temps sollicité. Je recevais des appels des quatre coins du monde à toute heure pour des conversations souvent anodines. Je n’arrivais plus à prendre de recul et les seuls amis à qui je parlais étaient à fond dedans. Mais les discours et les actes de certains devenaient ridicules à mes yeux. Après un voyage en Géorgie, qui m’a beaucoup déçu, je n’y croyais plus. Je suis alors resté pour Soledad, parce que je pensais qu’elle pouvait s’en sortir. C’était en décembre 2011. J’espérais qu’elle vienne vivre avec moi en Europe.
La fin de l’enfer
En 2013, au début de l’année, j’ai arrêté de répondre aux appels et aux messages. J’étais juste en contact avec Soledad, je pensais qu’on était dans une relation de couple platonique. Au final, elle est allée vivre avec un autre. Cette période fut très sombre. Un jour, un journaliste m’a envoyé des informations sur la secte. Les preuves faisaient état de prostitution avec des mineures, dont certaines filles que je connaissais. J’étais habitué à ce qu’on chante mes louanges et là, on se méfiait fortement de moi. C’était un cauchemar, je ne savais pas que ça allait aussi loin, j’étais vraiment déstabilisé. Je n’ai repris un fonctionnement « normal » qu’en 2015.
C’est effrayant de se dire que, malgré ce qu’on trouve sur internet, le mouvement continue de prospérer.
Il m’a fallu rencontrer quelqu’un d’autre pour sortir la tête de l’eau. J’ai renoué avec ma mère. Nous nous étions brouillés car elle trouvait les pratiques des chamans malsaines. Aujourd’hui, je n’ai plus de contact avec ces personnes. Je ne sais toujours pas qui tire réellement les ficelles de cette secte, il me manque des éléments pour tout comprendre. C’est effrayant de se dire que, malgré ce qu’on trouve sur internet, le mouvement continue de prospérer. Lui comme toutes les autres sectes. Je veux que mon témoignage serve d’exemple car ces organisations sont abstraites. Elles n’ont pas de vrai visage et sont méconnues. »
Si vous voulez aller plus loin, Alban Bourdy a écrit un livre qui raconte en détail cette période de sa vie.
Un bisounours au pays des se(x)tes
de Alban Bourdy
éd. BOD
2018
Avec neonmag
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