Il est 10h du matin, on est un mardi. On vient juste de sortir le premier numéro de Gnadoe que le directeur de publication me harcèle déjà pour la suite (le DP la-même hein. Humm..En tout cas, il paye bien). Assis au comptoir du Patio, je sirote une bonne bière fraîche, en attendant que mon rendez-vous me rejoigne. Il fait chaud, et j’envie les quelques clients qui se pavanent comme des poissons dans la piscine du Patio.
Je regrette presque de ne pas avoir pris mon maillot de bain, lol. Perdu dans mes pensées, je n’ai pas entendu Angela Aquereburu arriver. Oui La Angela ! La nouvelle gourou des séries TV made in Afrique Francophone ; celle qui s’est donnée pour mission de colorer nos petits écrans des petites histoires de notre quotidien.
Elle me sort de ma douce rêverie d’une tape de l’épaule, et s’excuse poliment pour son léger retard ; je commence par prendre l’habitude.. Je la fixe quelques secondes, et m’attarde sur des détails, elle est vraiment une personne atypique. Je ne sais pas ce que je préfère, sa coupe de cheveux à la « okoyé » (Ndlr, personnage du film Black Panther) son allure de féline, ou son franc sourire.
Elle commande un mojito, je ne suis qu’à la moitié de ma bouteille. Elle se fend d’un « Alors, que voulez-vous savoir ? » après sa première gorgée. Je lui réponds « Tout ! ». Je sors mon bloc-notes et mon enregistreur.
Une âme d’artiste
Angela Aquereburu apporte un regard différent sur le continent noir et chamboule le paysage audiovisuel de l’Afrique francophone grâce à Yobo Studio, sa maison de production audiovisuelle. Et pourtant, rien ne prédestinait cette diplômée de l’ESCP ( ndlr : Ecole Supérieure de Commerce de Paris) à une carrière de réalisatrice.
«…si je n’avais pas été réalisatrice et productrice, je me serais éclatée dans la danse. Depuis toute petite, j’adorais danser ; j’ai encore des vidéos faites par mes parents quand j’avais trois ans, où on me voit danser sur tout et n’importe quoi. Je pense que c’est l’activité dans laquelle je me sens bien, dans laquelle je m’exprime beaucoup. Mettez-moi de la musique là, et je danserai sans aucun problème. …Quand j’étais à Paris, je prenais des cours de salsa, C’est d’ailleurs comme ça que j’ai rencontré mon mari ..»
En 2005, son mari Jean-Luc Rabatel, comédien et co-fondateur de Yobo Studio, attrape une maladie étrange et très bizarre qui l’oblige à rester hospitalisé pendant 4 mois sans diagnostic clair.
Cette période difficile sera une source de remise en question pour Angela. « Pendant ces 4mois, je me suis dite, voilà, j’ai trouvé l’homme de ma vie, mais il part sans rien me laisser; j’étais perdue. Du coup à un moment, j’ai décidé de faire un bilan de compétences ; on est allé voir un cabinet de conseil en ressources humaines. On a passé des tests sur nos habitudes de travail et nos habitudes de vie.
De ce test, deux choses sont ressorties ; il fallait que je fasse carrière soit dans les ressources humaines, soit dans le domaine artistique, parce que je suis quelqu’un qui a naturellement besoin d’être en contact avec les autres».
Angela décide donc de continuer dans les ressources humaines, légèrement effrayée par le côté incertain que représentait le choix d’une carrière artistique.
Le conseil d’un père : le déclic d’une carrière
Quelques années après, le couple Rabatel-Aquereburu rentre à Lomé pour les vacances, et le père d’Angela ( ndlr : Richard AQUEREBURU, actuel PDG de Canal+ Togo) leur fait un triste constat sur le contenu des chaînes de télévisions diffusées localement.
« il n’y avait aucun programme qui nous ressemblait, on avait le brésil, la Mexique, le Nigeria etc. et là mon père nous dit : « vous perdez votre temps en France, ici le terrain est vierge, venez travailler chez nous ici au Togo ».
Pendant ce temps, il y avait le marché africain de l’audiovisuel qui rassemblait les acteurs de l’audiovisuel à Dakar en Février 2009, et donc je m’associe à mon mari pour lancer un projet à présenter au DISCOP Africa. Nous avons donc créé Yobo Studio, qui vient de Yo= yovo (Ndlr, Blanc en mina) et Bo= Yibo (ndlr, noir en mina), pour symboliser le métissage que nous incarnons, autant dans le cinéma que dans notre association. Cela a été la meilleure décision de ma vie. »
Faire du cinéma en Afrique, ce n’est pas facile
Meilleure décision certes, mais qui ne s’est pas révélée facile à assumer. « Tout n’a pas toujours facile. Après la production de ZEM, qui raconte des histoires rigolotes sur les taxis moto, un format court de série télévisée produite au Togo en Mina avec laquelle j’ai démarré ma carrière, j’ai voulu la proposer à la télévision Nationale (ndlr : TVT), ils m’ont d’abord demandé combien je leur verserais et ensuite, ils ont été dérangés par le fait que la série soit tournée en Mina puisque le Mina n’est qu’une des langues parlées sur le territoire.
Dieu merci, tout va pour le mieux maintenant, le ministre en charge de la culture est intervenu et la série passe actuellement sur la chaîne. »
Angela demande un petit break. Son mari vient d’arriver, ils se font la bise et rigolent rapidement. Elle nous présente, et il nous rejoint pour la suite de l’entretien.
Femme de foyer et féministe assumée.
Mère de deux enfants, Angela a trouvé le juste équilibre entre son rôle de mère et de femme au foyer, et son quotidien d’entrepreneure. Son secret ? Savoir communiquer avec son conjoint et associé.
« Un couple qui travaille ensemble et qui n’est pas solide finit toujours par s’éclater. Je crois qu’on a traversé le plus difficile, mon mari et moi. Le fait que j’emmène mon yovo de mari à Lomé et le complexe que nous avons au local avec l’européen n’a pas vraiment aidé.
Mais avec le temps, nous avons su trouver notre équilibre. On a développé une complicité, on communique énormément, et lorsqu’on n’est pas d’accord sur un sujet, on discute… »
Angela Aquereburu sait croquer la vie à pleines dents. Elle nous avoue d’ailleurs un faible culinaire, la cuisine africaine et antillaise particulièrement.
« Oui, il est possible d’avoir une vie au-delà des tournages et de la production. » nous confie-t-elle avec un sourire. « Oui j’adore manger, j’adore voyager, j’adore m’occuper de mes enfants. J’aime découvrir de nouvelles saveurs, quand je voyage dans un autre pays, la première chose que je fais c’est découvrir les mets du pays.
Je crois même que qu’à part danser, manger est l’activité que je prends le plus de plaisir à réaliser. D’ailleurs, j’aime bien le ayimolou (ndlr : riz aux haricots), l’adémé et la sauce gombo aussi, j’aime également le attieké.J’aime surtout tout ce qui vient des Antilles, et mon mari vient d’une région de la France où on mange beaucoup, c’est peut-être pour cela qu’on s’entend si bien ».
Mais être femme au foyer n’empêche pas la directrice de Yobo Studio d’être résolument engagée pour les droits de la femme. Pour elle, le féminisme doit être mesuré pour pouvoir mener le bon combat.
« Je ne sais pas si ceci seulement fait de moi une féministe mais dans toutes mes séries, il y a une femme à l’honneur, une femme qui prend ses propres décisions, qui s’exprime librement. Je pense que l’homme et la femme sont égaux en droit mais qu’ils sont très différents, ils ont des façons très différentes de penser et d’agir.
D’ailleurs je n’aime pas trop cette journée des droits de la femme ou je ne sais pas comment vous l’appelez. Je crois que le jour où on entendra plus parler de cela, on aura tout compris. Ce n’est pas la peine de rejeter la faute sur les hommes parce que pour moi le premier responsable c’est la femme ; depuis la nuit des temps, c’est la femme qui élève et les hommes et les femmes…. »
Ce qu’il faut savoir avant de se lancer dans le cinéma
Angela Aquereburu n’avait jamais imaginé sa vie dans le cinéma, Autodidacte, elle a appris toute seule, en multipliant les expériences et en prenant des risques. Et quand il faut conseiller des jeunes qui veulent emboiter ses pas, elle est plutôt très réaliste et drue.
« Beaucoup de jeunes veulent se lancer dans l’audiovisuel, c’est bien mais il faut noter ceci : Si vous êtes des fous furieux et que vous avez envie de crever la dalle pour vos rêves, allez-y ! Foncez !Moi j’ai eu la chance, j’ai mon père. Je vis chez lui, je conduis sa voiture, le peu que je gagne va dans l’école et l’entretien de mes enfants. Les gens sont très souvent étonnés quand ils me voient parce qu’ils s’attendent à voir une grande dame avec des talons, des cheveux brésiliens et tout.
Effectivement mon argent ne va pas dans ce genre de choses, mon argent va dans l’éducation de mes enfants et dans la production. Vous devez savoir que c’est énormément de sacrifice.
Si vous voulez faire cela juste pour être connu, oubliez, trouvez-vous autre chose.Si vous voulez faire cela pour devenir riche, oubliez, trouvez-vous autre chose.Mais si vous voulez le faire parce que vous êtes passionnés allez-y, vivez votre rêve ; ne laissez jamais quelqu’un d’autre vous dire que ce que vous faites n’est pas bon.
Mais quand vous avez une idée, avant de vous lancer, faites une enquête pour savoir s’il y a d’autres personnes qui ont déjà eu la même idée, comment ils ont mis en exécution, vérifier que votre idée est vraiment originale par rapport à ce qui est déjà proposé et chercher à savoir s’il y a des gens prêts à acheter votre idée.
Il faut vraiment donner une démarche professionnelle à votre projet. Et si vous n’êtes capable de le faire tout seul, associez-vous avec des gens qui ont les compétences qu’il faut ».
Bientôt midi. Le smartphone de Angela crépite. Et c’est Florence Kitcha (ndlr: actrice togolaise) qui essaye de la joindre pour avancer sur un nouveau projet. Elle ne nous en dira pas plus.
Elle s’excuse précipitamment et prend congés avec son mari. “Jespère que vous avez tout pour finir votre dossier”. Elle règle ma facture, et s’éclipse. Je me fends d’un grand sourire, et finit ma bouteille. C’est mon DP qui va être content.
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