Elle, accoudée au bar, elle buvant lentement son verre. Elle laissant lascivement la liqueur couler dans sa gorge fine, chaude et profonde. Elle dans cette robe noire à pois rose qui la moulait comme une seconde peau, comme une chrysalide dont allait surgir d’un moment à l’autre un immense papillon aux ailes voluptueuses et délicates. Elle, monstre de sex-appeal, force tranquille sûre de son charme, elle, met délicat offert à l’avidité du monde.
Elle, chair tendre dans laquelle il devait ab-so-lu-ment croquer à pleines dents ou mourir en essayant. Il prit juste le temps qu’il fallait pour admirer la symétrie presque trop parfaite de ces deux collines dressées dans un soutien-gorge sans armature dont on devinait les motifs roses en forme de papillon au hasard de quelque frémissement de sa poitrine.
Quand elle sursautait ou qu’elle riait, c’était un envoûtant tremblement dans son échancrure…et un véritable ouragan de magnitude 7 dans un certain pantalon. Mes yeux, c’est au-dessus, gentlemen ! Remarqua-t-elle d’un air à peine réprobateur. Alors vous avez de très beaux yeux, répliqua-t-il avec un sourire sans équivoque. De très jolis yeux. J’aimerais vraiment les voir de plus près, y plonger le regard et le visage durant toute la nuit.
Le viril, le tireur d’élite, le Don Juan, le prédateur sexuel Koko, ignorait que ce sont les beaux yeux de la belle, ravissante et séduisante gazelle qui allait le conduire dans les abîmes de la passion. Elle s’appelait Anifa, venait de « ça n’a pas d’importance ce soir » et travaillait dans « une société qui se situe quelque part dans une ville là-bas ». Leur discussion recouvrait des mots et des rires qui enveloppaient leur désir de plus en plus fervents, envoûtants et sauvages.
Elle aimait vivre dangereusement et n’hésitait pas à mélanger plaisir et affaires ou encore mystère et beauté. Koko la fit entrer et lui servit un excellent champagne, dix-huit ans d’âge, qu’il avait prévu à l’origine pour son mariage. La belle gazelle ou la bête sexuelle ne goutta pas à ce champagne cette nuit-là, elle n’eut jamais le temps de le goûter. La nuit a été très longue pour nos deux tourtereaux.
« Heureux en jeux, malheureux en amour »
Une petite lettre d’Anifa suffisait pour ramener le pauvre Koko à la raison et à la réalité. Le film de cette nuit marqué par les baisers incessants, des caresses envoûtantes et des rires éclatants n’ont été qu’un triste souvenir énervant. L’essentiel à retenir du message que contenait cette fameuse lettre en papier plié avec une marque de rouge-à-lèvres rose en forme de baisée posée dessus était : « C’était génial mais je ne suis pas une femme pour toi ». Ce qu’on pouvait noter aussi de potable dans les gémissements, dans les hurlements et dans l’agonie des propos de Koko après avoir lu la lettre était : « Mon Dieu, pas encore, pas à moi, pas cette fois aussi. J’aurai pourtant cru que… ».
Le calvaire de Koko le Saint Albert a connu un tournant plus malheureux et plus suicidaire. Sa douleur, sa souffrance ainsi que ses larmes commencèrent à couler. Il n’a pas trouvé le temps de les essuyer avant qu’il n’encaisse une fois encore une humiliation plus importante. Un malheur n’arrive jamais seul, dit-on généralement.
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Alfonse de Lamartine.
La seconde défaite que Koko a connue provenait de son camarade, son ami d’enfance, son frère d’une autre mère Ayikwé. Ce célèbre homme d’affaire a finalement décidé de poser également ses valides après avoir parcouru l’univers des femmes du monde sans jamais trouver la bonne. Il était surnommé « Ayikwé Kakayi » parce qu’il faisait indubitablement partie de la lignée des tireurs d’élite. Il ne ratait jamais sa cible quand il l’avait dans sa ligne de mire. Il a finalement décidé d’enterrer cette carrière pour se marier.
Soudain Koko la vit. Il a reconnu cette silhouette. Elle était dans les bras de son ami, de son frère Ayikwé. C’était la gazelle Anifa. Elle était la femme dont Ayikwé était éperdument amoureux. Le monde s’est effondré sous les pieds de Koko le Don juan. Il a compris ce que la lettre traduisait et a présenté la résolution selon laquelle il n’était rien d’autre que le coup d’un soir. « Après tout, je n’étais qu’un coup d’un soir », se dit-il avant de se mettre à rire, à rire de son malheur jusqu’à s’en fendre les côtes. Il se trouvait drôle, drôle à rire, drôle à mourir.
La nouvelle « Les lèvres éphémères » est une œuvre du jeune auteur togolais Ayi Dossavi. Elle est disponible aux éditions Awoudy et dans les librairies de la capitale.

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