Depuis le début des années 2010, deux courants musicaux issus du continent africain et de ses diasporas ont pris d’assaut les scènes internationales, l’Afrobeats et l’Afrotrap.
Tandis que l’un est né dans les rues de Lagos avant de rayonner dans toute l’Afrique anglophone, l’autre s’est développé dans les banlieues parisiennes, avec des influences à la fois africaines et européennes.
Aujourd’hui, ces deux genres se disputent les cœurs et les oreilles des jeunes d’Afrique francophone.
Cette rivalité musicale révèle des dynamiques culturelles, linguistiques et économiques, qui méritent une analyse approfondie de notre part. (Gnadoe Media)
Origines et influences : deux parcours différents
L’Afrobeats (à ne pas confondre avec l’Afrobeat de Fela Kuti) est un style hybride né au Nigeria et au Ghana.
Il mêle highlife, hip-hop, dancehall, coupé-décalé, et musique électronique. Depuis le début des années 2010, des artistes comme Wizkid, Davido, Burna Boy ou encore Tiwa Savage ont popularisé ce son énergique, dansant et mélodique, souvent chanté en anglais, en pidgin ou en langues locales comme le yoruba.
L’Afrotrap, de son côté, est apparu dans les années 2015 en France, sous l’impulsion d’artistes comme MHD, souvent considéré comme le « père » du genre.
Ce style fusionne les instrumentales trap (venant du rap américain du Sud) avec des sonorités africaines (souvent issues du coupé-décalé, du ndombolo ou de la rumba) et des lyrics en français, souvent émaillés de références culturelles africaines.
Un enjeu de langue et d’identification
Le premier point de divergence dans cette bataille est linguistique. L’Afrobeats, chanté majoritairement en anglais ou en pidgin, a longtemps peiné à s’imposer dans les zones francophones du continent, à l’exception des mélomanes avertis ou anglophones.
Mais cette barrière est en train de tomber. L’esthétique visuelle léchée des clips, la puissance des plateformes de streaming, l’internationalisation des artistes nigérians et la multiplication des collaborations (avec des artistes comme Aya Nakamura, Dadju, Gims ou encore Tayc) rendent l’Afrobeats de plus en plus accessible.
En revanche, l’Afrotrap a séduit dès le départ les jeunes des pays francophones par l’usage du français et la proximité culturelle.
Les paroles évoquent des réalités partagées, immigration, quartiers populaires, double culture. Le succès de MHD dans des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Mali ou la Guinée s’explique en grande partie par cette identification.
Les tournées dans les capitales africaines, les clips tournés à Dakar ou Abidjan, ont renforcé ce lien émotionnel.
Les réseaux sociaux, un terrain de conquête
Instagram, TikTok, YouTube, Spotify, les deux genres s’affrontent aussi dans la sphère numérique.
L’Afrobeats, en particulier, a su conquérir TikTok avec ses rythmes dansants et ses challenges viraux, comme ceux autour de « Essence » (Wizkid ft. Tems) ou « Last Last » (Burna Boy).
Ces plateformes permettent une viralité quasi-instantanée et transforment certains morceaux en hymnes continentaux, voire mondiaux.
L’Afrotrap, malgré son déclin relatif depuis 2018, reste présent dans les playlists africaines grâce à sa descendance directe notamment les artistes francophones qui incorporent désormais des éléments d’Afrobeats, de drill ou d’amapiano dans leur musique.
On peut parler aujourd’hui d’une fusion entre les deux styles, visible chez des artistes comme Naza, Franglish ou Didi B.
Le pouvoir de la scène : qui attire les foules ?
Sur scène, l’Afrobeats semble avoir pris une longueur d’avance. Les artistes nigérians remplissent les stades, du Nigeria à Paris, en passant par Accra, Kigali ou Abidjan.
Leur présence dans les festivals internationaux comme Coachella, Afro Nation, Wireless ou Global Citizen témoigne d’une stratégie d’expansion bien rodée.
L’Afrotrap, porté par une génération plus restreinte d’artistes, peine à rivaliser en termes d’envergure.
La carrière de MHD a été interrompue par des démêlés judiciaires, et d’autres figures du genre ont soit disparu des radars, soit évolué vers des sonorités plus commerciales.
Toutefois, l’empreinte de l’Afrotrap reste vive, notamment dans les festivals urbains francophones et les concerts organisés dans les capitales africaines.
Vers une hybridation des genres ?
Aujourd’hui, il serait réducteur de parler d’une rivalité stricte entre Afrobeats et Afrotrap. Si concurrence il y a, elle est surtout portée par les industries musicales qui cherchent à positionner leurs artistes sur des marchés en pleine croissance.
Pour les jeunes Africains francophones, cette dualité est plutôt une richesse. Elle leur offre des repères multiples, des sons pluriels et des modèles identitaires diversifiés.
D’ailleurs, de nombreux artistes africains naviguent librement entre les deux univers. Le rap ivoirien incorpore désormais des beats Afrobeats, les artistes congolais adoptent des flows trap, et les musiciens sénégalais chantent en wolof sur des instrumentales nigérianes.
Cette circulation des codes et des esthétiques augure peut-être la naissance d’un nouveau son afro-francophone global.
Plus qu’un duel, l’opposition entre Afrobeats et Afrotrap révèle la vitalité de la scène musicale africaine.
En se nourrissant de traditions locales et d’influences mondialisées, ces deux genres contribuent à redéfinir ce que signifie « être jeune et africain » aujourd’hui.
Dans cette bataille pour les charts et les cœurs, il n’y a pas de perdant : l’Afrique francophone est en train d’inventer sa propre voix, entre Lagos, Paris, Abidjan et Dakar.
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