Portrait Anita AFATCHAO


Anita AFATCHAO

Anita Afatchao est ce genre de personnes dont la première rencontre ne vous laisse jamais indifférente. Pétillante, sûre d’elle, débordante d’énergie, elle possède ce petit « quelque chose » qui fait que vous avez tout simplement envie de l’entendre, de l’écouter parler.

Elle nous a fait le plaisir de s’asseoir quelques minutes avec nous, quelques temps après son retour d’Abidjan où elle finissait lauréate du concours sous-régional de cinéma,« ClapIvoire » à Abidjan en juillet dernier.

Une victoire pour cette jeune passionnée de cinéma qui présentait pourtant sa toute première œuvre cinématographique. Une victoire pour elle, mais surtout pour le cinéma togolais, dont Anita en a fait de la promotion aux delà des frontières, son combat.Portrait d’une jeune réalisatrice engagée.

 

 

Anita, comment est née cette passion pour le cinéma ? Est-ce que tu l’as toujours eue?

Eh ben, pas vraiment ! Rires. Je dirai que je suis plutôt une grande fan des livres, des romans, de l’art en général. Depuis toute petite, dès l’âge de 8-9 ans, je lisais des romans, mais surtout des romans africains car ce sont ces romans auxquelles j’arrivais à m’identifier le plus, et où les réalités, les histoires et le langage me parlaient.

Et je crois que c’est ce monde imaginaire du roman, qui a façonné en moi le goût pour l’image. Et puis une fois le bac en poche, j’ai suivi des études pour être journaliste reporter d’image et petit à petit, en évoluant aussi en parallèle dans le monde de l’audiovisuel, je suis tout doucement tombée dans la réalisation de films documentaires.

 

Alors tu es passée de journaliste reporter à non seulement réalisatrice mais lauréate d’un grand concours de cinéma de la sous-région. En un espace de temps assez record ! Qu’est-ce que cela représente pour toi ?

C’est..wow ! Je ne m’y attendais pas. Je ne pensais vraiment pas arriver jusqu’ici, surtout qu’à la base, je voulais tout simplement être journaliste et faire mes reportages.

Alors finir lauréate d’un concours en tant que réalisatrice, je ne l’avais pas vu venir ! Mais je suis très heureuse d’avoir pu mettre le nom du Togo dans l’esprit des gens à travers ce prix, car beaucoup de personnes malheureusement ne savent pas qu’il existe au Togo des producteurs, des réalisateurs et autres acteurs du domaine de cinéma de qualité, parce que nous manquons de visibilité.

Pour ça j’en suis très heureuse.

 

Puisqu’on parle visibilité, tu es l’une des rares femmes dans ce domaine au Togo. Est-ce que tu as eu à faire face à certains défis et challenges, notamment dûs à ton jeune âge?

Tu sais, il y a déjà des femmes dans le domaine qui ont balisé le terrain donc on ne me voit plus comme quelqu’un qui est tombé sur la tête ! Rires..

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Mais le souci pour moi, je le vois au niveau de la formation, et c’est ce qui explique en partie pourquoi les préjugés ont toujours la dent dure.

On me dit souvent « mais tu as fait quoi pour en arriver là ? » Les gens pensent qu’on entre dans le cinéma comme ça, car ce n’est pas quelque chose de pris au sérieux, comme tout métier des arts en général qui sont vus comme une perte de temps ou un monde destiné aux ratés de la société.

Je suis jeune aussi, et donc parfois on ne me prend pas toujours au sérieux. Mais je laisse mes œuvres et surtout mon travail parler pour moi-même !

 

Est-ce pour cela que tu tiens particulièrement à faire connaître le cinéma au Togo ?

Oui, absolument ! Mon objectif c’est de porter le cinéma togolais hors des frontières. J’ai d’ailleurs ouvert un blog début 2018 qui s’appelle « cinémania » dans ce sens.

Tu sais au Togo, quand tu dis que tu fais du cinéma, tout de suite on pense que tu es acteur. C’est important de mettre la lumière sur tous les autres métiers qui existent, car il y en a tellement et ils sont tous différents ! Les productions togolaises se vendent à l’extérieur, dans les festivals et autres.

Regarde « Hospital’IT » sur TV5 Monde ! Les gens sont étonnés quand ils apprennent que c’est une production et réalisation 100% togolaise.

Et pourtant !Alors pour moi oui, c’est important d’exporter le cinéma togolais mais il faut aussi que ceux qui soient à l’intérieur, sachent qu’il y a des acteurs et artistes du cinéma qui émergent, parce que ça commence par là. Il faut que l’on puisse consommer local d’abord, consommer qui nous sommes, notre identité.

 

Quand tu me parlais des romans africains que tu préférais lire petite parce que les histoires te ressemblaient, on a l’impression que tu avais déjà petite, très vite compris qu’il était important de se réapproprier son histoire, et de l’écrire avec ses propres réalités, ses propres codes, sa culture en fait. Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui ton métier et ton combat actuels sont quelque part la consécration de tout ça ?

Absolument. Que ce soit à travers les livres, la télévision, les habits, tout..partout..les autres nous ont assez vendu leur culture et pendant longtemps.

Mais tu vois, on en a assez à revendre ici. Dans tous les domaines et particulièrement le cinéma. Prenons juste l’exemple du cinéma au Togo et celui du Burkina-Faso.

On n’a pas les mêmes codes même s’il y a des similitudes. Donc encore moins avec ce qui nous vient de l’Occident !Ce n’est pas la même façon de raconter une situation donnée. C’est pour ça que je dis qu’on doit vendre ce qu’on a chez nous.

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On n’a pas besoin de copier un modèle. Ma réalité est africaine avant tout. Il faut que ce soit consommé localement d’abord, tout en pouvant exporter nos produits vers l’extérieur.

 

Pourtant, on a l’impression qu’une industrie du cinéma au Togo a du mal à émerger…à ton avis pourquoi ?

Tu parles d’industrie, et c’est là le premier souci. Il faut déjà changer les mentalités.Ça commence avec changer la perception que les gens ont de notre métier.

Ce n’est ni un divertissement, ni une « perte de temps », ni une activité de dernier recours pour les ratés. Les métiers du cinéma, et ben ce sont de vrais métiers.

Ensuite,il faut aussi que les gens arrivent à croire que le cinéma est une industrie qui est créatrice de richesse et d’emplois et qui donc a besoin de gros investissement. Qui dit investissement, dit financement, dit argent.

Aujourd’hui, si tu vois les productions au Togo, on fait avec le peu de moyens qu’on a et du coup la qualité du travail en pâtit.

Quand on fait des événements de cinéma au Togo, c’est compliqué de trouver des partenaires parce que les gens ne voient pas ce qu’on y gagne..

Et pourtant, regardez Nollywood  par exemple! Tout est possible à partir du moment où on croit que ça peut marcher. Et moi je suis de ceux qui en sont persuadés et qui veulent se battre pour faire changer ces préjugés sur le cinéma et les arts en général.

 

Mais alors quelle stratégie pour que cette industrie du cinéma togolais émerge vraiment ?

On a besoin de faire des productions de masse. Au Togo, les films sortent mais on les exporte pour des festivals internationaux, parce qu’il faut aussi rentabiliser.

Tu vois, on ne produit pas pour la consommation locale, contrairement à ce qui se fait ailleurs comme en Côte d’Ivoire ou au Sénégal.

Je crois qu’on a besoin que le cinéma togolais produise en masse, que les gens achètent et consomment les films togolais, qu’ils puissent y avoir des sorties en salle de cinéma..

Et tout cela va stimuler et inciter d’autres personnes à elles aussi produire des films, et ainsi de suite..

 

Et aussi en parallèle inciter les gens à s’intéresser davantage au cinéma dit « local »..

Oui. Mais de toute façon les gens ici regardent énormément la télévision.

Regarde dans les rues, devant les télés. Films, séries, télénovélas, les togolais en raffolent. Imagine si à la place de tous ces films, il y avait aussi des films produits ici, qui parlent aux togolais selon leurs réalités, tu ne crois pas que cela marcherait ?

Moi je suis sûre que oui. En tout cas ce que je vois ailleurs dans la sous-région en sont de très bons indicateurs.

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C’est d’ailleurs tout le propos ta première réalisation « L’or…dure », montrer aux togolais d’abord des initiatives innovantes qui se font sur place, au Togo ?

Oui, c’est ça ! Dans « L’or…dure », la thématique c’est le recyclage, mais je me suis particulièrement intéressée à la transformation des déchets recyclés fait au Togo, par des togolais.

Pour moi ce qui m’intéresse, c’est de parler des initiatives locales innovantes. Et comme je te le disais avant, montrer d’abord aux gens ce qui se fait chez nous, avant de l’exporter à l’étranger.

Parce qu’il faut que nous soyons d’abord nous-même conscient de notre propre valeur, de nos compétences. Je te parlais des films en général, mais ça commence justement par montrer ce que le togolais fait et sait faire.

Et ma caméra me permet de mettre tout ça en lumière.

 

 

Tu en es avec « L’or…dure » à ta toute première réalisation.. As-tu des projets en cours ?

Je prépare actuellement un long métrage sur Paul Ahyi. C’est un homme pour qui j’ai beaucoup d’admiration. Sa vie, ses œuvres me parlent particulièrement.

Il a fait beaucoup pour le Togo, pourtant peu de togolais savent qui il est..que c’est lui par exemple qui a conçu le drapeau togolais ! Pour ce prochain projet, j’ai envie de faire découvrir aux gens qui il était, pour tout ce qu’il a représenté pour le Togo.

 

De beaux projets en cours..et toi-même, où tu te verrais dans 5 ans par exemple ?

D’ici là, qui sait, j’aurai peut-être ma propre structure. J’ai bien envie de me spécialiser dans la production.

Oui, je me vois productrice en fait, pour donner les moyens à ceux qui sont là, qui ont des idées de films, de documentaires, des beaux projets, mais qui n’ont pas forcément cet accompagnement pour réaliser leurs rêves.

 

C’est beau ça..Tu te vois donc en une « porteuse » d’étoiles ?

Rires, on peut dire ça..

 

Quels conseils donnerais-tu à une jeune qui aimerait se lancer dans le cinéma ?

Je lui dirai qu’à partir du moment où on sent qu’on a une réelle vocation, il faut se lancer. Il y a beaucoup de métiers dans le cinéma. Il ne faut pas se dire « Je suis une femme, donc je vais être actrice », ou « je suis un homme, donc je vais être réalisateur ». C’est cliché. Il faut casser les codes. Tout le monde a des capacités, en fonction de ses propres atouts. Je leur dirai de ne pas se laisser influencer par ce que les autres font et ce qui marchent pour eux, mais de croire et de suivre sa propre étoile.


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